Cela fait quinze ans que Monsieur J.* vit dans ce parc. Chaque semaine, nous le retrouvons à son emplacement habituel, dans un espace qu’il connaît intimement et qu’il a appris à apprivoiser. Ce parc est devenu son refuge, un lieu où il se sent en sécurité. En raison de troubles de santé mentale, Monsieur J. a développé un lien très fort avec cet endroit. Il y trouve une stabilité, une forme de repère, malgré les intempéries et des conditions de vie extrêmement précaire.
 

Créer du lien pour accompagner les personnes sans-abri

Depuis plusieurs années, notre association l’accompagne régulièrement à travers nos maraudes. Nous venons à sa rencontre, échangeons avec lui, lui proposons des solutions. Un lien de confiance s’est tissé au fil du temps. Mais jusqu’à récemment, il a toujours refusé nos propositions de mise à l’abri. Le parc représentait pour lui bien plus qu’un simple lieu de vie : c’était un espace de liberté qu’il n’était pas prêt à abandonner.
 

Sortir de la rue après une agression : un tournant vers l’aide

Cependant, ces derniers temps, la situation s’était dégradée. Monsieur J. était de plus en plus exposé à des violences dans le parc. Ces agressions répétées ont bouleversé son quotidien et entamé ce sentiment de sécurité auquel il tenait tant. Il se sentait de plus en plus vulnérable, tiraillé entre la peur et l’attachement profond qu’il avait pour ce lieu.

Un jour, après une agression particulièrement violente, Monsieur J. a demandé à nous voir, par l’intermédiaire d’un partenaire. Il refusait qu’une ambulance soit appelée, mais tenait à ce que ce soit nous qui venions. Ce geste témoignait de la confiance qu’il plaçait en nous, et du lien qu’il nous reconnaissait dans l’accompagnement, y compris sur le plan médical.

Lorsque nous sommes arrivées, nous l’avons trouvé profondément marqué par l’incident. Il nous a confié qu’il ne se sentait plus en sécurité, mais qu’il ne se sentait pas encore capable de quitter le parc. Après une longue discussion, nous avons réussi à le convaincre de se rendre à l’hôpital. C’était un petit miracle : depuis 2009, il n’avait dormi qu’une seule nuit hors du parc, et ne consultait jamais de médecin.
 

Premiers pas vers le soin : accepter l’hôpital

Il comprenait, d’une certaine manière, que cet endroit n’était plus viable pour lui.

L’hôpital était un univers inconnu, presque hostile à ses yeux. Pourtant, il a accepté d’y passer quelques examens. Il a refusé certains soins plus complexes, mais l’essentiel était là : il s’était laissé prendre en charge. Ce geste représentait un tournant. Pour la première fois, il reconnaissait qu’il ne pouvait plus retourner dans le parc, du moins pas tout de suite.
 

Un compromis pour quitter l’insécurité

À l’hôpital, Monsieur J. s’est apaisé. Il a accepté un compromis pour sa sécurité. Il y a trouvé un peu de calme et de réconfort, tout en gardant dans un coin de son esprit que le parc restait une part importante de son histoire. Le chemin vers un éventuel rétablissement sera long, mais cette première étape est décisive. Accepter de se faire aider, même temporairement, même partiellement, c’est déjà sortir de l’immobilisme.
 

Accompagner : un travail de longue haleine

C’est grâce au lien de confiance tissé au fil des années, et à un solide travail en réseau, que nous avons pu l’aider à franchir ce cap. L’accompagner hors du parc, c’était lui tendre la main, avec douceur et respect, pour qu’il commence à prendre soin de lui, autrement.

 

Témoignage de Pauline, travailleuse sociale en rue

Mettez fin au sans-abrisme

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(*) Nous mettons tout en œuvre pour respecter la vie privée de nos patient·es et notre secret professionnel. Nous voulons néanmoins témoigner de la façon dont ils doivent survivre et de la manière dont nous travaillons ensemble à leur réinsertion. Par conséquent, le nom des lieux et des personnes sont volontairement omis ou modifiés et des situations vécues sont placées dans un autre contexte. Il n’y a pas de lien direct entre les photos et les histoires ci-dessus.